samedi 5 décembre 2009

L'Autre


Voilà! J'ai trouvé le thème de ma chronique du samedi: l'Autre.

Lorsque j'avais 17 ans, je suis secrètement tombée amoureuse d'un collègue de classe. A l'époque, je ne me confiais à personne - comme si la confidence eut le potentiel de révoquer le sort dont j'étais sous l'emprise. A ce jour, je n'ai jamais révélé l'identité de celui qui aura été l'amour le plus intense de ma vie, parce le premier.

Comme la première crise d'angoisse (qui m'a aussi terrassée à 17 ans - décidemment l'âge de l'extase et des tourments) est la plus dévastatrice - parce que la première. Elle nous prend par surprise. Les symptômes nous effraient. On est soudainement plongé dans un univers étranger et hostile au fond de nous même. On se perd en soi, sans repère, avec le sentiment que l'on n'émergera jamais plus. Mais on émerge chaque fois. Faute d'apprendre à les dompter, angoisse comme amour, on finit par les apprivoiser.

Extase et tourments, disais-je donc! Il n'a jamais eu de nom. Lorsque je devais y faire référence, je le désignais comme "l'Autre".

J'étais amoureuse de "l'Autre"! Avec le recul, je trouve mon choix de surnom ironique et extraordinaire à la fois. Je n'avais aucun désir de poésie ou de psychologie. J'avais probablement adopté à l'improviste le premier mot qui m'avait traversé l'esprit pour le bien d'une conversation où je le mentionnais.

Je n'ai pleinement savouré ce choix que plusieurs années plus tard au hasard d'une lecture: la sagesse de l'amour, d'Alain Finkielkraut. Quel étonnement de trouver mon premier amour désigné par son unique nom: l'Autre!

A 17 ans, j'étais une philosophe qui s'ignorait. J'avais synthétisé en un mot l'essence du sentiment amoureux et du choc de la rencontre avec autrui. J'avais pris violemment conscience de l'existence de l'autre. Ca sert à ça le premier amour: nous sortir de la torpeur narcissique de l'enfance.

Voilà ce qu'en dit Finkielkraut, donnant un sens à ma juvénile expérience:
"Si déraison il y a, elle n'est pas déconnection mais rencontre, elle ne tient pas, comme dans la psychose ordinaire à l'oubli de l'autre, mais à son irruption. L'amour a ceci de terrible qu'il détruit toutes les barrières, toutes les procédures, toutes les conventions qui maintiennent le commerce des hommes à une température moyenne, et protègent la vie du visage d'autrui. Dans l'amour, l'Autre vous arrive du dehors, s'installe en vous et vous reste étranger".

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