jeudi 31 décembre 2009

Le syndrome de Stendhal


"Le syndrome de Stendhal est une maladie psychosomatique qui provoque des accélérations du rythme cardiaque, des vertiges, des suffocations voire des hallucinations chez certains individus exposés à une surcharge d'oeuvre d'art".

L'appellation vient du récit d'un voyage que l'auteur a fait à Florence en 1817. "En sortant de Santa Croce, j'avais un battement de coeur, la vie était épuisée chez moi, je marchais avec la crainte de tomber."

Mais ce n'est qu'en 1979 que ce phénomène fut identifié chez les touristes, en Italie, cela va de soi. Fait intéressant, la psychiatre avait observé que les Nord-Américains et les Asiatiques n'étaient pas touchés, que les Italiens étaient immunisés et donc que les victimes de ce malaise étaient essentiellement des européens vivant seuls et ayant une éducation classique.

Des centaines de cas ont été répertoriés à Florence, où il semble que les gardiens de musées soient informés de cette réaction particulière. "Les réactions des victimes subjuguées sont très variables, des tentatives de destruction du tableau ou d'hystérie ont été observées".

L'art qui provoque une crise identitaire profonde, qui ébranle le Moi. Aussi appellé le symdrome des voyageurs, il s'explique du fait que l'individu a perdu ses repères quotidien et se trouve submergé.

J'ai connu ce sentiment à Saint-Petersbourg, en visitant l'Ermitage. Cet étourdissement qui menait presque à la nausée devant une beauté présente dans l'abondance et le détail. J'en suis sortie avec un profond malaise.

Stendhal lui-même, pour décrire son état, parle "d'extase". Voilà, on y revient!

mardi 29 décembre 2009

Chronique dont vous êtes le héros: La vie selon P. (épisode 4)


P. emménagea donc dans un petit bureau au deuxième étage de la tour C avec fenêtres, muni d’une vieille télévision et d’un lecteur vidéo désuet. Même s'il s'agissait d'un exercice d'humilité après un passage dans les sommets de la Tour A, il se consolait en se rappelant qu'il avait évité de peu les affres du cubicule!

Il retrouvait plusieurs collègues qu'il avait jadis connus: Keith, ami personnel de la Reine Élizabeth qui cachait une photo de la souveraine derrière la porte de son bureau pour ne pas échauffer l'esprit antimonarchiste des vils républicains qui fourmillaient dans les corridors du ministère; Simon, vétéran de l’équipe qui appréciait particulièrement les longues conversations autant avec ses collègues qu'avec les journalistes qui le consultaient volontiers dans une ère de mutisme généralisé; Isabelle, ancienne attachée de presse du premier ministre sous un autre gouvernement.

On avait attribué à P. les dossiers de l'Amérique latine, qui lui assuraient des appels nocturnes du zélé et probablement insomniaque Jorge Barrera de l’agence Canwest; les nations unies qui compensaient d’une certaine façon parce que Steven Edwards, un habitué, était au moins plus agréable que son collègue; la Francophonie lui imposait des réunions impromptues avec Muriel, son homologue de la direction sœur BCF (direction des stratégies de communication), sur des produits qui ne suscitaient pas chez lui beaucoup d’enthousiasme; et enfin le portefeuille fourre-tout de la sécurité qui générait un intérêt particulier chez les étudiants en journalisme de Carleton. Ils téléphonaient régulièrement dans l’espoir d’obtenir des informations controversées sur les mines anti-personnel ou la politique nucléaire du Canada.

Tout s'annonçait donc pour le mieux. P. nageait dans l’univers de la décence : le salaire, les conditions d'emploi, les collègues, les patrons, la description de tâches. Quiconque s’entendrait pour dire qu’il s’en était sorti honorablement.

Ses compagnons de l'époque politique s'étaient décimés. Sa vie sociale en avait quelque peu souffert, mais il continuait à faire la navette entre Ottawa et Montréal – ce qui le divertissait vaguement – faute de voyages impromptus comme par le passé. Le quotidien amenait invariablement son lot d’appels de journalistes plus ou mois sympathiques, de questions plus ou moins pertinentes dont il ne pouvait plus se débarrasser en les transférant aux fonctionnaires du ministère, sa somme d’approbations, de formulaires à remplir, de réunions auxquelles assistées, sans la perspective de fuir en Challenger comme à la belle époque.

Pour certains, P. pourrait sembler fataliste. D’autres le considéreraient réaliste. Il avait conclu une forme d’accommodement raisonnable avec lui-même. Une vie somme toute acceptable, sans grand drame ni grande souffrance.

Parfois, le soir à l’heure de se coucher il avait un vague sentiment de lassitude et une lourdeur à l’estomac, mais le matin il avait immanquablement le sourire aux lèvres et la verve facile pour s’entretenir avec son voisin de bureau, un thé vert à la main.

Dans la chronique 5, P. choisit plutôt une indemnité de départ. Si vous souhaitez absolument poursuivre une carrière dans la fonction publique, il vous faudra attendre la chronique 13.

samedi 26 décembre 2009

La vie est un Kilimanjaro: l'expédition (partie 1)


C'est le titre que je donnerais à mon livre de psycho-pop, si je devais en écrire un. (Non pas que cela fasse véritablement partie de mes intentions ou projet -apprendre aux autres à vivre- très peu pour moi).

Un projet personnel important, c'est une expédition. Qu'il s'agisse d'entreprendre une carrière, de tomber amoureux, de réaliser un rêve, il y a plusieurs attitudes possibles:

1) Contemplative. Pourquoi monter la montagne quand l'admirer d'en bas permet en fait d'en apprécier davantage la beauté?

2) Méthodique. Une fois l'entraînement suivi rigoureusement, le matériel aquis et les ressources financières assurées, l'expédition peut prendre forme. Mais il est surprenant comment certains s'éternisent dans une préparation qui ne semble jamais suffisante jusqu'à ce que les années achèvent finalement le sabotage que leurs doutes avaient joyeusement entrepris.

3) Communautaire. C'est un projet collectif, qui se pense, se prépare et se vit avec un groupe significatif (conjoint, amis, famille). Parfois même pour une bonne cause. (Mais entre vous et moi, le prétexte est aussi bon que la cause pour se permettre de vivre ses rêves)

4) Spontané. La décision se prend dans un élan du coeur. Le regret de l'échec vaut mieux que le remord de ne pas avoir essayer.

jeudi 24 décembre 2009

Georges et Eugénie vous souhaitent Joyeux Noel


Très chers amis,

Après une très longue période de silence et à l'aube d'une nouvelle année, Georges et moi profitons de l'occasion pour vous effectuer un retour dans vos vies et vous transmettre les souhaits d'usage.

Une rupture douloureuse nous ayant temporairement séparés à notre retour d'Italie, nous avions été contraints de cesser notre correspondance, privant ainsi notre fidèle lectorat du récit d'aventures épiques qui l'avait nourri tout au long de notre séjour européen. C'est avec une joie à peine retenue que nous retrouvons le plaisir et privilège du nousnoiement.

Pour ceux qui m'ont connu au cours de ma sombre période de célibat, je me fais un devoir de vous présenter Georges of Westminster, troisième du nom, amour chimérique de jeunesse et compagnon de péripéties.

Notre vie, qui autrefois brillait de mondanités, s'étant ancré dans la réalité d'Ottawa, il nous faudra probablement vous faire voyager par le rêve et l'imagination. Comme le disait Blaise Cendrars à qui on demandait s'il avait vraiment été en Sibérie, il répondit: "peu importe si j'y suis allé puisque je vous y ai amenés".

Ainsi donc très chers amis, alors même que nous nous installons progressivement dans un quotidien où hier n'a rien à envier au lendemain, nous vous faisons une promesse d'exotisme et de rêves d'ailleurs.

Amicalement vôtres,

Georges et Eugénie

mardi 22 décembre 2009

Chronique dont vous êtes le héros: la vie selon P. (épisode 3)


La réalité dépassant souvent la fiction dans cette saga politico-existentielle, P. se retrouva une fois de plus sans emploi lorsque son gouvernement fut reversé lors d'un coup d'Etat mené par une coalition communiste-séparatiste dirigée par un certain Stéphane Dion - que les livres d'histoire ne retiendront pas, malgré une certaine allocution télévisée qui aurait été l'objet d'un mystérieux sabotage.

Malheureusement pour le lecteur, le narrateur a choisi de ne pas exploiter les drames qui animaient les coulisses du pouvoir à cette époque pour pimenter son histoire et s'en tiendra aux éléments essentiels à une meilleure compréhension du récit qui nous intéresse.

Ayant pris goût aux salaires généreux du gouvernement fédéral, envieux d'une sécurité d'emploi à l'épreuve des pires crashs boursiers et entrevoyant d'un bon oeil une carrière prometteuse d'exotisme, de prestige, d'avantages sociaux alléchants, il n'hésita pas un instant à mettre à profit le réseau qu'il avait élaboré lors de son séjour aux affaires étrangères pour s'assurer une place au soleil.

Quelques appels opportuns lui permirent rapidement de recevoir une offre au sein de ce ministère convoité. De secrétaire de presse du ministre, il intégra tout naturellement les rangs de la fonction publique comme porte-parole.

En fait, on lui avait offert dans un premier temps un contrat de quelques mois pour remplacer le narrateur, qui avait quitté sur un coup de tête son poste pour réaliser on ne comprenait pas très bien quel projet. Il avait eu l'appel du sans-solde. Certains soutenaient qu'il s'agissait d'un retour aux études, d'autres croyaient plutôt qu'une quête personnelle était à l'origine de cette décision qui pouvait paraître quelque peu mystique à tout fonctionnaire rodé à sa rassurante routine quotidienne.

A ce moment, narrateur et personnage s'apprêtaient à emprunter des chemins divergents. Le premier espérait toujours détourner le second d'une voie qu'il connaissait trop bien et qu'il savait sans beaucoup d'intérêt, mais il devait poursuivre sa route en laissant à son héros la liberté de choisir son destin - lui offrant avant de partir ce récit.

Pour accepter le poste de porte-parole aux affaires étrangères, lisez la chronique 4. Pour changer de vie, allez plutôt à la chronique 6.

samedi 19 décembre 2009

Chaque jour, une nouvelle aventure


N'est-ce pas la meilleure façon d'aborder le quotidien pour pouvoir y survivre sans s'enliser dans l'ennui? Chaque jour, dès le levé, une nouvelle aventure s'offre à nous. C'est une question de perspective. Les drames qui bouleversent un destin irrémédiablement sont rares. La tragédie épargne même certains. Mais dans chaque journée il y a un fait, un geste, une pensée, un doute, qui oriente imperceptiblement l'avenir. Ce sont ces petits événements sans importance apparente qui donne une saveur particulière à chaque journée.

Je tiens depuis quelques années un journal. C'est ainsi que je traque dans mon quotidien ce qui a l'odeur du changement. Une chasse aux trésors où chaque indice compte. Je fais deux paris : 1)une anecdote pourrait se métamorphoser en événement sous l'effet du temps qui passe 2)les petits hasards heureux que je note chaque jour nourrissent ma foi dans le potentiel que me réserve demain.

J'ai eu le courage d'envoyer un courriel à quelqu'un que j'aimerais connaître davantage ou encore j'ai trouvé les mots pour gentiment faire comprendre à quelqu'un d'autre que ce n'est pas le cas, j'ai envoyé mes cv pour une charge d'enseignement dans les cégeps, j'ai passé l'examen d'anglais nécessaire à ma promotion, S. a répondu à mon message j'ai soupé chez Amélie avec les filles, j'ai croisé Frédéric par hasard dans une boutique du marché, mon ex m'a invitée à être son amie facebook, j'ai repris l'entraînement dans l'espoir de m'attaquer enfin à l'Himalaya, j'ai imaginé un nouveau plan quinquennal... autant de faits divers qui tissent la trame de mes journées.

jeudi 17 décembre 2009

En tête-à-tête: les Entretiens, Montréal



Chère Eve,

Je t'écris des Entretiens - sur la rue Laurier. J'attends P. qui est en retard...

Le pianiste joue des airs de Noël. La place est bondée. Les conversations et la musique s'enterrent l'une l'autre, créant une ambiance gentiement chaotique. J'ai la petite table haute sur le bord de la fenêtre. Perchée sur mon tabouret, j'observe les passants se presser sur le trottoir, cachés sous leurs capuchons pour se protéger de la neige qui tombe doucement.

Les vacances approchent.

J'ai hâte que tu reviennes de Rome. Plus que quelques semaines avant notre prochain tête-à-tête. Tu me raconteras ta nouvelle vie. Je te dirai tout des derniers petits drames qui ont ponctué mon existence depuis ton départ.

Tu connais ma curiosité. Je ne peux m'empêcher de suivre la conversation du couple qui brunche en tête-à-tête et qui doit penser à tort que je ne lui prête aucune attention parce que je pianote frénétiquement sur ce petit appareil avec lequel je t'écris.

Ils échangent des banalités. Elle s'ennuie à mourrir derrière son sourire. Il parle surtout de son travail. Elle feint de s'y intéresser. Nous feignons toutes un jour ou l'autre.

Je me souviens d'un monologue sur les partis politiques français qui m'avait achevé. Il ne s'est jamais aperçu de rien. Il avait même proposé d'annuler le cinéma pour poursuivre une discussion qu'il considérait passionnante pour deux.

Enfin, c'était une autre époque...

P. est sur le point d'arriver. Je t'embrasse et attends impatiemment ton retour.

E

mardi 15 décembre 2009

Chronique dont vous êtes le héros: la vie selon P. (épisode 2)


P. futur fonctionnaire à la croisée des chemins
Vous savez aussi bien que moi, chers lecteurs, que la recherche du bonheur est un long chemin tortueux sur lequel il est facile de se perdre. Les valeurs se contredisent souvent, le contexte oriente le parcours et les erreurs viennent généralement du fait que l'on emprunte la direction que l'on croit devoir prendre plutôt que celle qui nous attire le plus.

Tout ça pour vous dire qu'à l'époque où le narrateur rencontra le héros, il évoluait dans une vie plutôt trépidante qui le faisait voyager à l'improviste aussi loin qu'en Afghanistan. Il avait lentement pris goût à l'ivresse de la politique et du pouvoir, favorisant cette partie de l'âme qui a une inclinaison naturelle pour le prestige, le confort matériel et la stabilité.

La première rencontre entre le narrateur et le héros principal eut lieu un matin de décembre - soit deux ans avant la rédaction de cette chronique. A l'époque, on aurait pu croire que la vie allait poursuivre son cours aussi paisiblement que le canal Rideau. Pourtant, une série d'événements et de rebondissements allaient se succéder et bouleverser l'année qui suivit.

Après avoir goûté aux plaisirs exotiques des Affaires étrangères auprès d'un controversé ministre démissionnaire, s'être retrouvé au coeur du scandale le plus sexy de la politique fédérale, avoir effectué un improbable retour éclair au ministère - pendant lequel il aura vécu en moins d'un mois les Olympiques de Pékin et la crise de Géorgie - avoir fait une campagne électorale pour un parti auquel les sondages attribuaient dans sa propre circonscription -2% des suffrages (en tenant compte de la marge d'erreur), avoir été directeur de l'encore plus improbable Ministre d'état de la condition féminine, P. allait se retrouver à la croisée des chemins.

Son épopée rocambolesque de la dernière année semblait vouloir poursuivre sur sa lancée frénétique. En effet, quelques semaines après des élections générales, son parti allait s'infliger une crise économique, politique et d'unité nationale historique qui allait remettre en cause sa destinée.

Pour entreprendre une carrière de fonctionnaire aux Affaires étrangères, passez à la chronique suivante (mardi prochain). Sinon, pour toucher une prime de départ et retourner à Montréal, rendez vous à la chronique 5.

samedi 12 décembre 2009

Lorsque l'on parle des autres, on parle de soi


Lorsque je méditais sur ce projet de blog et tentais d’en imaginer la structure et la nature, j’avais envisagé d’écrire une chronique hebdomadaire sur la nature humaine- celle des autres évidemment! Extraire la substantifique moelle - comme dirait l’autre - de mes conversations et de mes observations. Amis du monde entier, tenez-vous le pour dit! J’avais l’intention d’engager via ce blog un dialogue psychanalytique avec ceux qui croisent ma route. Mais parler des autres, c’est toujours parler surtout de soi me rappelle sagement Marie-Josée chaque fois que je me rebelle contre des commentaires que me font certains amis. « Ils ne parlent pas de toi, mais d’eux », me rassure-t-elle. « De leurs peurs, de leurs angoisses, de leurs désirs inassumés ». Après tout, nous sommes tous des monstres d’égocentrisme.

C’est une façon plus sophistiquée de nommer la « projection ». Les blocages des autres nous renvoient à nos propres enjeux irrésolus. Nous réagissons à nous même et notre dialogue se résume donc souvent à un monologue avec soi. En cherchant une solution pour quelqu’un, c’est nous que nous tentons ultimement de sauver.

A l’aube de me lancer dans cette aventure du blogging, la question se pose. Ne vais-je pas m’exposer davantage alors que je comptais me cacher sous le masque de mes personnages? Parler des autres, c’est peut-être l’ultime façon de se cacher, de se révéler et de se chercher.

En ce sens, l’exercice n’est probablement pas vain puisque nous sommes généralement beaucoup plus lucides quand il s’agit des autres. On révèle souvent à nos interlocuteurs des vérités intimes qui restent pour nous des secrets, même après les avoir énoncées. Après de longs mois à discuter de sa situation matrimoniale, une amie me téléphone pour m’annoncer comme une révélation qu’elle avait décidé de se séparer. Il me semblait pourtant que c’était l’unique sujet de nos conversations depuis si longtemps. J’ai alors compris qu’il nous arrive de savoir, de verbaliser, mais en même temps de ne pas s’entendre soi-même. Aussi égocentriques sommes nous, il semble que nous sommes sourds à notre propre voix.

jeudi 10 décembre 2009

L'effet papillon


Voilà des années que ma vie est traversée d'amours-éclairs qui ont pourtant peu à voir avec le coup de foudre. Chacune de mes nouvelles rencontres naît et meurt en un clin d'oeil, un battement d'ailes de papillon, avec la tornade qu'il déclenche. Toute la théorie du chaos réside en effet dans cet imperceptible moment.

Voilà que je découvre à force de lecture que ma vie amoureuse tient des mathématiques modernes : "un système est dit chaotique s'il présente simultanément les deux caractéristiques suivantes: phénomène de sensibilité aux conditions initiales et une forte récurrence". J'ai toujours soupçonné l'existence d'une poésie des chiffres, tout comme d'une relation entre la physique quantique et dieu - mais c'est un autre débat.

"On dit d'un système qu'il est chaotique s'il est régi par des lois déterministes connues mais que son évolution échappe tout de même à toute prévision sur le long terme". Au fond, je ne suis qu'une équation. Il ne me reste plus qu'à trouver l'ordre dans le désordre - projet peu ambitieux s'il en est diront ceux qui me connaissent bien.

Après tout, j'ai la manie des organigrammes, des listes et des plans de vie quinquennaux. A la sortie de mon premier cours sur la théorie des choix, approche nouvelle de la science économique, je me sentais particulièrement fébrile. Il m'aura fallu quelques heures pour comprendre que je venais d'assister en direct, sur l'ardoise, à la mathématisation de ma névrose. Je me retrouvais dans ces arbres avec leurs branches bourgeonnant de noeuds de décisions, tous marqués de probabilités et de résultats anticipés.

Les choix deviennent ainsi prévisibles et rationnels. Plus de chaos possible dans le coeur de l'économiste.

mardi 8 décembre 2009

Chronique dont vous êtes le héros: La vie selon P. (épisode 1)


Portrait d'un futur fonctionnaire
Lorsque le narrateur fit la connaissance du héros de cette histoire, surnommé P. par souci de préserver la vie privée de cet acteur du milieu politique, il occupait un vaste bureau du 10ième étage de la tour A de l'édifice Lester B. Pearson surplombant la rivière des Outaouais. Il habitait une sompteuse résidence patrimoniale de la région d'Ottawa, possédait un loft montréalais où il retournait religieusement en pèlerinage toutes les fins de semaines et conduisait une Volkswagen beige champagne qu'il allait plus tard troquer pour une Audi A4 gris dauphin.

P. était en apparence un parfait apparatchik. Il s'était intégré tout en douceur au sein d'un parti avec lequel il ne partageait pourtant aucune affinité particulière. Il se mouvait avec grâce et discrétion dans le milieu surpeuplé d'égos de la colline parlementaire Plutôt bel homme. Toujours habillé avec goût. Aimable avec les fonctionnaires qu'il côtoyait dans le cadre de ses fonctions d'attaché politique. Il avait décoré son bureau d'affiches militantes et de slogans de son crû comme pour se convaincre qu'il adhérait à la cause.

Les charmes de P. ne laissaient personne indifférent, surtout la gente féminine. Les quinquagénaires rêvaient d'en faire leur gendre. Il éveillait subtilement l'instinct couguar des quadragénaires. Le narrateur, soucieux de ne pas gonfler indûment l'égo de son personnage, restera discret sur les émotions juvéniles des autres.

Les hommes pour leur part se flattaient d'une relation amicale et chaleureuse avec un proche du ministre. Même le narrateur doit confesser au risque de compromettre sa crédibilité avoir succombé à son charisme.

Votre humble serviteur, qui n'a jamais été insensible aux qualités de son personnage principal, prétend non seulement deviner chez ce garçon de bonne famille une personnalité beaucoup plus riche et complexe, mais nourrit pour lui des ambitions de bonheur qui teinteront le ton de ce récit. Victime de son image, P. se pliait aux exigences d'un rôle qui limitait son potentiel d'épanouissement.

Cette chronique étant un drame existentiel et non une psychanalyse freudienne, le narrateur résistera à son penchant naturel pour les analyses psychologiques approfondies et se concentrera sur l'aventure qui attendait son personnage.

Pour en apprendre davantage sur la carrière politique de P., poursuivez votre lecteur la semaine prochaine dans la chronique 2.

samedi 5 décembre 2009

L'Autre


Voilà! J'ai trouvé le thème de ma chronique du samedi: l'Autre.

Lorsque j'avais 17 ans, je suis secrètement tombée amoureuse d'un collègue de classe. A l'époque, je ne me confiais à personne - comme si la confidence eut le potentiel de révoquer le sort dont j'étais sous l'emprise. A ce jour, je n'ai jamais révélé l'identité de celui qui aura été l'amour le plus intense de ma vie, parce le premier.

Comme la première crise d'angoisse (qui m'a aussi terrassée à 17 ans - décidemment l'âge de l'extase et des tourments) est la plus dévastatrice - parce que la première. Elle nous prend par surprise. Les symptômes nous effraient. On est soudainement plongé dans un univers étranger et hostile au fond de nous même. On se perd en soi, sans repère, avec le sentiment que l'on n'émergera jamais plus. Mais on émerge chaque fois. Faute d'apprendre à les dompter, angoisse comme amour, on finit par les apprivoiser.

Extase et tourments, disais-je donc! Il n'a jamais eu de nom. Lorsque je devais y faire référence, je le désignais comme "l'Autre".

J'étais amoureuse de "l'Autre"! Avec le recul, je trouve mon choix de surnom ironique et extraordinaire à la fois. Je n'avais aucun désir de poésie ou de psychologie. J'avais probablement adopté à l'improviste le premier mot qui m'avait traversé l'esprit pour le bien d'une conversation où je le mentionnais.

Je n'ai pleinement savouré ce choix que plusieurs années plus tard au hasard d'une lecture: la sagesse de l'amour, d'Alain Finkielkraut. Quel étonnement de trouver mon premier amour désigné par son unique nom: l'Autre!

A 17 ans, j'étais une philosophe qui s'ignorait. J'avais synthétisé en un mot l'essence du sentiment amoureux et du choc de la rencontre avec autrui. J'avais pris violemment conscience de l'existence de l'autre. Ca sert à ça le premier amour: nous sortir de la torpeur narcissique de l'enfance.

Voilà ce qu'en dit Finkielkraut, donnant un sens à ma juvénile expérience:
"Si déraison il y a, elle n'est pas déconnection mais rencontre, elle ne tient pas, comme dans la psychose ordinaire à l'oubli de l'autre, mais à son irruption. L'amour a ceci de terrible qu'il détruit toutes les barrières, toutes les procédures, toutes les conventions qui maintiennent le commerce des hommes à une température moyenne, et protègent la vie du visage d'autrui. Dans l'amour, l'Autre vous arrive du dehors, s'installe en vous et vous reste étranger".

jeudi 3 décembre 2009

Confession d'un séducteur impénitent


(Pour S)
Monsieur le curé,

Il faut que je vous dise, quand je vois une belle créature, je ne peux résister. Déjà, il me semble qu'avant même de l'apercevoir, j'en ressens la présence - comme si son odeur de proie éveillait mon instinct et me mettait en appétit. J'en devine les délices alors que j'ignore encore tout de la bête. C'est plus fort que moi, mon père, ça me surprend dans les moments les plus incongrus. Je suis encore tout occupé à une tâche manuelle, je suis plongé dans une conversation, mon esprit est complètement absorbé par une réflexion existentielle et pourtant, avant que je n'aie le temps de réagir mon coeur est parti à la chasse.

Dans les premiers temps, j'en échappais quelques unes, voire plusieurs. J'étais maladroit. Je me faisais repérer trop tôt et la belle déguerpissait sans espoir d'être rattrapée. Mais lorsque finalement, je réussissait à tromper sa vigilance et en surprenait une dans un moment de distraction, j'étais submergé d'une intense et addictive décharge. Je ne connaissais que mon désir sans voir ce que je prenais. Je savourais ce jeu. Chaque victoire me remplissait d'allégresse.

Evidemment, vous le devinez, à force de chasser, je suis devenu chasseur. Je trouve maintenant la proie prévisible. Elles se prennent toutes aux mêmes pièges sans fantaisie que je pose mécaniquement. Leurs charmes se fanent à mes yeux et je m'en lasse rapidement. A peine a-t-elle cédé que déjà l'ennuie m'assaille. Elle est encore là et je n'y pense même plus.

Son émoi ne scelle que mon indifférence.

Comment vous dire, mon père. Je crois chaque fois trouver Celle qui me rassasiera, qui apaisera le loup garou qui sommeille très légèrement en moi. Mais aussi prévisible qu'une nuit de pleine lune, le doute naît, qui le réveille.

Et je disparaît dans la nuit...

mardi 1 décembre 2009

Extase et tourments


"Ah! Extase et tourments!" s'exclame une de mes amies pleine de sagesse à chaque fois que je lui confie les doutes et les angoisses qui me chavirent à chaque nouvelle rencontre.

"Extase et tourments!" répète-t-elle pour ponctuer chacune de mes interventions, chaque nouvelle objection que j'apporte, chaque détail d'analyse introspective supplémentaire, comme si tout avait été dit et se résumait à ce constat inéluctable.

"Extase et tourments", c'est le supplice de la passion. Avant même que l'Église ait propagé le concept de péché, les Grecs considéraient l'hybris - la démesure ou le désir de s'extraire de son destin - comme un crime passible des pires peines. La malédiction divine s'abat sur ceux qui s'abandonnent à une folie d'orgueil. Comme Sysiphe, qui selon certains auraient insulté l'Olympe et éprouvé l'amour de sa femme en lui demandant de ne pas lui offrir de sépulture, est condamné à monter et laisser descendre sa roche comme pour mimer les élans du cœur.

"Extase et tourments" comme seule pouvait les chanter la Callas dans la Traviata: cet amour qui est la vie de l’univers tout entier, mystérieux et altier, la croix et le délice du cœur.

"Extase et tourments", ultime refuge lorsque point la menace terrifiante de l'ennuie qui guette comme la mort.

"Extase et tourments", essence d'une vie pleinement vécue.