samedi 27 février 2010

La femme de 30 ans


C'est le titre qui a d'abord attiré mon attention, évidemment, alors que je faisais des recherches sur autre chose complètement. Je nourrissait l'espoir qu'il parle de moi et de mon univers. Etre compris par quelqu'un d'autre , même par un auteur d'un autre siècle, et pouvoir ainsi mieux se comprendre, a ses attraits.

Roman mal écrit de Balzac. Son navet. Publié de façon fragmentaire entre 1829 et 1842, sans unité convainte l'ouvrage fait partie des scènes de la vie privée de la Comédie humaine.

Terrain d'essai, il y explore le vaste univers féminin: misères conjuguales, aspirations juvéniles inévitablement déçues, sexualité.

Portrait d'une autre époque, d'un autre lieu.

Alors qu'est-ce qu'une femme de 30 ans au Québec en dehors des archétypes grossiers et des caricatures inévitables. Toutes les femmes à la fois - la gamme entière des possible. Il ne reste plus que l'embarras de s'inventer.

Le jour de mes 30 ans, j'ai été envahie d'un fort sentiment de liberté. J'avais entre mes mains toutes les cartes d'un jeu gagnant et il ne restait plus qu'à moi de les jouer judicieusement: carrière, enfants, loisirs, ambitions personnelles, situation financière, études, relations, santé.

Ma vie m'appartenait.

jeudi 25 février 2010

En-tête-à-tête: Bastide d'Opio, Paris


Salut Francois,
Je t'écris de ma table de la Bastide d'Opio, juste devant l'église du Saint-Sulpice, dans le VIe arrondissement où je me suis laissée perdre après ma marche solitaire dans le jardin du Luxembourg. Je retrouve toujours avec plaisir cette discrète église cachée au fond d'une place tranquille. A l'écart du circuit touristique, elle garde son trésor pour elle: un Delacroix - le combat de Jacob avec l'ange.

La petite chapelle des saints-anges est le théâtre de la rencontre initiatique entre Jacob et son adversaire mystérieux. Vaincu et blessé au terme d'une nuit entière de lutte, il est épargné par l'inconnu qui le bénit et le renomme Israël - "celui qui a affronté dieu avec persévérance". L'image est forte; elle ne peut que me plaire - sortir de sa nuit blessé mais transformé au terme d'une lutte acharnée contre dieu.

Jean-Paul Kaufmann a écrit un long essai sur cette peinture. Sa nuit à lui, ce furent les trois ans de détention qu'il a passé comme otage au Liban. De grand reporter international, il est devenu épicurien professionnel - consacrant désormais son talent aux cigars, au vin et à l'art.

Allez, je t'invite. Tu partageras ainsi mon repas et je m'éviterai la mortification d'un repas à fixer quelque part dans le vide. Je savoure lentement mon chardonnay en attendant les crevettes au Pernod que je nous ai commandées. Tu es allergique aux fruits de mer, je sais bien, mais je ne pouvais pas résister.

Nous sommes dans un bistrot tout simple comme tu les aimes. La salle ne compte que quelques tables. Un groupe d'amis est assis tout au fond. Le plat vient d'arriver sur l'entre-fait, avec un autre verre. Je ne lésine sur rien ce soir. Tu me permettras de te déposer sur la table quelques instants.

Rien de tel, pour me réconcilier avec un mercredi soir d'exil anonyme.

Allez, je retourne à mon hôtel. Je t'appelle à mon retour.

E xx

mardi 23 février 2010

Chronique dont vous êtes le héros: La vie selon P. (12)


P. réussit non seulement cette entreprise de séduction, mais il fut lui aussi charmé. Son futur patron lui avait fait bonne impression et lui inspirait confiance. Aussi naturellement qu'un coup de foudre abat les résistances, il avait l'impression qu'il serait à sa place dans cet emploi dont il ne savait pourtant rien.

Les mois suivants furent consacrés à apprivoiser son nouvel univers. On lui faisait confiance. On lui confiait des responsabilités, il avait une grande liberté d'action et voyageait de plus en plus.

Le narrateur se contente de généralités et se garde d'être précis quant à l'identité de l'employeur et la nature de l'emploi. On pourra l'accuser de ne pas vouloir prendre le risque de se tromper. C'est plutôt qu'il sait que le bonheur professionnel de P. ne tient pas tellement à une position précise qu'à un ensemble de caractéristiques: diversité des tâches, liberté d'action, voyages et dimension internationale, interactions sociales les plus nombreuses possibles, une touche de prestige, le tout encadré de certains avantages marginaux.

Pour voir ce qui se serait passé pendant ce temps si vous aviez choisi de rester à Ottawa, lisez les chroniques 13 à 20. Sinon, pour découvrir comment la vie sentimentale de P. évoluera à Montréal, passez immédiatement au chronique 21 et suivantes.

samedi 20 février 2010

Lettre de l'éditeur


Très chers lecteurs,

Silencieux, fantomiques, chimériques... Plus d'une vingtaine de chroniques déjà. Trois mois de rédaction dans ce projet que je souhaite prolonger tout au long de l'année 2010. Et je suis sans nouvelle de vous. Qui êtes-vous?

Depuis des années, je suis fidèle quotidiennement à mon journal intime. Enfant, je pratiquais le violon dans mon garde-robe. Je n'ai jamais vraiment cherché les publics. Et pourtant je me prends à ce dialogue intérieur. Même si ce blog ne devait être qu'un monolgue, après tout qu'importe.

C'est mon banc d'essai. Grâce à vous, je renoue avec un autre type d'écriture. Les idées naissent et se définissent dans le processus. D'autres projets germent déjà dans mon esprit, qui verront peut-être le jour dans un futur plus ou moins lointain.

Je découvre dans l'écriture mon salut, dans internet une possibilité d'évasion de mon quotidien souvent bien beige. Je pousse mon imagination dans des contrées inexplorées. Je retrouve certaines formulations et tournures rouillées à force de rédaction bureaucratique sans charme. Je savoure les plaisirs controversés dans la fonction publique fédérale de la langue française, les mots oubliés, les trésors depuis longtemps ensevelis.

En vous attendant, je m'amuse. Je replonge dans mes souvenirs littéraires, des moments de voyage que je ne revisitais presque plus. Mais ne craignez rien. Si vous n'êtes pas au rendez-vous, je vous attendrai.

jeudi 18 février 2010

Chez Jules


C'est l'histoire d'une rencontre anodine, initialement banale et potentiellement sans intérêt. Elle n'a pris un peu de sens que parce qu'elle pourrait se renouveller. Combien d'inconnus croisons-nous chaque jour sur notre route, qui ne deviennent significatifs que par un concours de circonstances?

J'ai rencontré Jules tout à fait par hasard (comme se font toutes les rencontres quand on y regarde de plus près - mais il semble que le hasard soit proportionnellement significatif à l'intérêt que l'on attribue à l'événement). J'avais été invitée à une soirée chez un collègue et m'étais retrouvée par erreur chez le voisin. Chez Jules.

J'avais noté la bonne adresse sans porter attention au numéro de porte. L'imbroglio a fait rire. On m'a invitée à rester. Sans introduction, je suis entrée dans sa vie. J'ai connu ses amis, son appartement, lui.

Un mois plus tard, je dois le revoir. Je ne sais au fond rien de lui, sinon une première impression.

Une vie, la mienne du moins, se construit au gré d'un chassé-croisé de rencontres, de hasards, de malentendus et d'opportunités saisies au vol... Le résultat?

mardi 16 février 2010

Chronique dont vous êtes le héros: La vie selon P. (11)


« Tous nous serions transformés si nous avions le courage d’être ce que nous sommes. » (M.Y)


Le narrateur a durement planché sur ce chapitre, pourtant crucial puisqu’il était au cœur de cette entreprise d’écriture. Il devait prouver à son personnage qu’il serait plus heureux s’il faisait le pari de l’instinct plutôt que de la raison. Comme le disait le poète anglais Frost: «Two roads diverged in a wood, And I took the one less traveled by, And that has made all the difference”




Le défi était de taille. Il fallait non seulement un salaire généreux, mais aussi une entreprise stable offrant certains bénéfices marginaux, une équipe stimulante, une dimension internationale, beaucoup d’interactions sociales et l’opportunité de mettre à profit la créativité de P.




Quelques jours s'écoulèrent encore sans faire de vagues. L'arrivée de l'été adoucissait légèrement la sensation d'impuissance qui s'emparait de lui. Jusqu'à cet appel inattendu, un mercredi matin




On peut s’imaginer qu’il s’agissait d’un poste de promotion commerciale à la ville de Montréal, mais le narrateur préfèrerait croire que ce fût au contraire la direction des ventes et des relations publiques d’une multinationale.




Selon cet étrange mode de recrutement des firmes montréalaises qui exigent l'entière disponibilité des candidats, on souhaitait le rencontrer dès le lendemain pour une entrevue et une série de tests écrits psychométriques dont seules les ressources humaines semblent comprendre la pertinence.




Les entretiens d’emplois s’apparentent souvent à des « blind dates ». On ne sait pas à quoi s'attendre pourtant l'imagination crée un amalgame entre l'expérience, les désirs et les pires craintes. On s'apprivoise. Puis c'est une question de chimie. On a plus de chance de marquer des points quand on a juste assez envie de décrocher l'emploi pour être spirituel sans être désespéré. Nos interlocuteurs nous plaisent ou non. Si on parvient à les faire rire, c'est dans la poche.

samedi 13 février 2010

Un coeur en hiver


Christophe (je lui dédie cette chronique pour son anniversaire) me demandait dans son derrnier courriel comment se portait mon petit coeur en hiver. Difficile de répondre à cette question. En février, il fait toujours tellement gris malgré un ciel d'un bleu éclatant (un bleu Birks comme je disais plus jeune en faisant référence à l'écrin de la bijouterie de luxe montréalaise qui trônait fièrement sur la commode de ma cousine).

Je rêvais de trouver un tel bleu pour peindre ma chambre... Mais reproduire le ciel, c'est un défi que la palette de Sico n'a jamais su relever à ma satisfaction.

Film de Chabrol que j'ai vu à plusieurs reprises. Je ne sais plus ce qui m'avait tellement touchée. Peut-être ce constat un peu fataliste qu'il faut parfois se résigner à aimer celui qui est disponible plutôt que celui vers lequel l'âme est plus attiré, mais dont le coeur est en hiver.

Je ne me souviens que de ce film que ce commentaire sur l'accès public à l'art: "si une oeuvre quelque part dans un musée touche la vie ne serait-ce que d'une personne, alors l'existence de ce musée est justifiée".

Comment se porte donc mon petit coeur en février? Traîne-t-il toujours le fardot de tristesse qui lui pesait tant l'automne dernier? Le froid a-t-il eu raison de ses tourments?

jeudi 11 février 2010

Fiche pour site de rencontre dans le style immobilier




"Maison construite dans les années 70, mais bien entrenue et est toujours comme neuve.

Chaleureuse et accueillante, avec beaucoup de caractère. Style urbain et moderne. Intérieur éclairé.

Facile d'accès. Fondations solides, aucune rénovation majeure requise. Terrain très intime. Plusieurs améliorations apportées au cours des années. Décorée avec goût. Façade agréable avec vastes balcons avant.

Entretien extérieur effectué régulièrement par des professionnels. Les amateurs de gastronomie seront enchantés par sa cuisine. Idéale pour fonder une jeune famille.

Vendeur motivé cherche acheteur avec une bonne cote de crédit pour vente à long terme. Occupation rapide. Test de pirite négatif.

Visites sur rendez-vous. Venez en découvrir les nombreux attraits!!"

mardi 9 février 2010

Chronique dont vous êtes le héros: La vie selon P. (épisode 10)


P. fait une sortie avec un ancien attaché politique

On se souviendra que P., pour se changer les idées, avait accepté de sortir avec Martin, un ancien compatriote de l’époque politique.

Martin avait subi le même sort que lui lors du push communiste de janvier et avait réintégré les rangs de la politique municipale auprès du maire Tremblay. Au cours de cette soirée somme toute ordinaire dans un bar du vieux-Montréal où sortent les jeunes gens biens et branchés, Martin lui raconta comment il envisageait maintenant se présenter comme conseiller d'arrondissement dans le quartier Rosemont.

Apparemment, ses défaites dans les débuts de l'ADQ, alors qu'il se vantait d'une certaine ressemblance et d'un vague lien de parenté avec le chef éponyme de cette formation politique, n'avaient en rien diminué son appétit naturel pour les campagnes. Comme si d'avoir vu si jeune son visage sur une pancarte électorale avait laissé une trace indélébile dans son code génétique.

Habitué aux rouages de la politique, ce fameux Martin bénéficiait d'un solide réseau de connaissances influentes. Il en était venu à savoir par un ami qu'une multinationale de la rive sud cherchait un responsable des relations avec la clientèle. Bien qu'à priori ce titre semblait annoncer une mélange hybride entre la téléphoniste de Bell Canada ayant et l'hôtesse de l'air, P. n’avait plus les moyens de son snobisme professionnel.

Aucune étincelle ne s’alluma en lui ce soir là ,mais comme P. est un garçon poli et bien élevé qui aime faire plaisir aux gens sans les froisser, il élabora péniblement un sourire – ressemblant vaguement au rictus de son ancien chef le soir du discours à la nation - et affirma avec tout ce qu'il pouvait feindre d'enthousiasme que ce pourrait être intéressant.

La discussion bifurqua rapidement sur autre chose et les bières s'accumulèrent encore nombreuses devant eux si bien que le lendemain matin au réveil - outre un mal de tête lancinant- il n'avait plus de souvenirs précis de leur conversation.

samedi 6 février 2010

Le goût des autres


Un des films de Jaoui et Bacri. Je me souviens l'avoir vu à Montréal, au cinéma du quartier latin, avec celui qui allait devenir mon copain peu après. L'ironie veut que mon copain de l'époque devait aussi y assister avec sa nouvelle flamme. C'eut été une rencontre impromptue des plus savoureuses.

Un film sur le sens de l'esthétique, la notion personnelle de beauté. Cet homme sans raffinement qui découvre son goût pour l'art, pour un certain style. Il est initié à ce nouvel univers par son professeur d'anglais, aussi actrice, et son entourage dubitatif devant les enthousiasmes artistiques de l'homme d'affaires aussi peu raffiné et que cultivé.

Découvrir et prendre confiance dans ses goûts, ses préférences, n'est pas un processus si serein pour tous. Surtout quand le contact avec l'art se fait plus tard dans la vie.

J'avais presque 30 ans lorsque j'ai été véritablement en contact avec l'art italien pour la première fois. Je me sentais complètement étrangère à ce monde. Je ne pouvais distinguer le beau, l'intéressant, du répétitif.

J'ai dévoré les livres d'art pour aborder cet univers plein de mystère pour moi. J'ai usé mes souliers dans les musées italiens. A mesure que mon exploration avançait, mes horizons s'élargissaient.

La musique classique est entrée dans ma vie très tôt dans l'enfance. La littérature est arrivée à l'adolescence. Pour ce qui est des arts plastiques, il me semble malgré toutes mes tentatives de familiarisation que ce sera toujours comme une langue étrangère - avec des mots difficiles à saisir, des incompréhensions.

jeudi 4 février 2010

Erotisme mystique


Pendant mes études universitaires en littérature, j'avais pris un cours sur les textes érotiques. A ma grande surprise, un bonne partie du corpus à l'étude était d'origine religieuse. Il faut voir la transverbation de Sainte Thérèse par le Bernin dans la chapelle des Carmélites à Rome pour comprendre la nature de ses transports.

Les visions divines de Sainte-Thérèse sont particulièrement troublantes dans son autobiographie.

"J'ai vu dans sa main une longue lance d'or, à la pointe de laquelle on aurait cru qu'il y avait un petit feu. Il m'a semblé qu'on la faisait entrer de temps en temps dans mon coeur et qu'elle me perçait jusqu'au fond des entrailles; quand il l'a retirée, il m'a semblé qu'elle les retirait aussi et me laissait tout en feu avec un grand amour de Dieu. La douleur était si grande qu'elle me faisait gémir; et pourtant la douceur de cette douleur excessive était telle, qu'il m'était impossible de vouloir en être débarassée."

Ça donne le ton! Les experts parlent de syncopes ou d'extase sexuelle. Je comprends cher lecteur que pour aborder ce sujet, vous auriez souhaité autre source qu'une religieuse cloîtrée du XVIe siècle.

Mais en même temps, la répression est un incroyable instrument psychologique. "C'est un échange d'amour si suave qui se passe entre l'âme et Dieu".

Le monde catholique perpétue même la mémoire de l'extase de Sainte Thérèse depuis 1726 lorsque le pape Benoit XIII a établit la fête de sa transverbation.

mardi 2 février 2010

Chronique dont vous êtes le héros: La vie selon P. (épisode 9)


P. s’abandonne à la lecture de Marguerite Yourcenar

Un matin, en déplaçant quelques trucs qui traînaient, il tomba sur un livre qu'on lui avait offert pour son anniversaire un an auparavant. « Les mémoires d'Hadrien » de Marguerite Yourcenar. Un livre beaucoup trop sérieux et aride pour sa nature habituellement plus légère et joviale. Pourtant, il entreprit un peu par dépit cette lecture. D'un œil seulement d’abord. Puis il plongeât complètement dans l'histoire, terminant le roman de plus de 300 pages le lendemain.

A la veille de mourir, l'un des plus grands empereurs romains faisait le bilan de sa vie en s'adressant à son fils adoptif afin de le guider et l'inspirer; l’éducation, ses exploits, la politique, l’amitié, l’amour charnel et spirituel... Bref, l'inventaire de tout ce qui constitue une vie bien remplie et qui jalonne le parcours de celui qui apprend à devenir un homme.

Il avait souligné certains passages qui l’avaient marqué davantage. "Le véritable lieu de naissance est celui où l'on a porté pour la première fois un coup d'œil intelligent sur soi-même." Ou encore cet éloge des chemins tortueux : "C'est avoir tort que d'avoir raison trop tôt."

Quelque peu réconforté par cette lecture, il accepta le soir même l'invitation de Martin, une connaissance qui avait croisé son chemin à quelques reprises au cours des dernières années. Il lui fallait sortir de son marasme actuel, même si cela devait commencé assis devant une bière ailleurs que dans son salon.