samedi 26 février 2011

Le violoncelliste de Sarajevo (#21) (2)


"Dans quelle version d'un mensonge se trouve la vérité, impossible de le dire. Aujourd'hui, après tout ce qui s'est passé, Dragan sait que le Sarajevo dont il se souvient, la ville où il a grandi, dont il était fier et où il était heureux de vivre, n'a probablement jamais existé."

De Sarajevo, ce dont je me souviens aussi, ce sont le sentiments provoqués par ma présence. J'étais silencieusement assise au fond de l'autobus lorsque le douanier entra à la frontière pour inspecter les passeports. Quel fût son étonnement et celui de tous les passagers de découvrir parmi eux une jeune étrangère.

Au lieu du mépris que je me serais attendue à recevoir pour m'être lancée dans une aventure aussi téméraire, je lisais sur leur visage un certainement amusement, une curiosité.

J'ai rapidement compris que j'annonçais la fin de la guerre. Le printemps revenait enfin au terme d'un hiver éternel. Les tirs avaient cessé depuis quelques temps, mais ma présence mettait fin à leur isolement. Le monde s'intéressait à Sarajevo et recommencerait à venir.

Mon hôte m'a confié, alors qu'il m'accompagnait dans les rues de la ville, qu'il n'aurait jamais trouvé le courage de retrouver Sarajevo n'eut été de moi. Il redécouvrait sa ville par mes yeux qui n'avaient jamais vu la guerre. Il me racontait la guerre à moi, qui ne la connaissait pas. Et je crois que cette innocence était pour ceux que je rencontrais une promesse de paix. Le bonheur était encore possible.

"Une arme est la manifestation d'une décision déjà prise".

mardi 22 février 2011

samedi 19 février 2011

Le violoncelliste de Sarajevo (#21)


"Nous avions survécu toute la nuit et c'était tout ce que nous souhaitions. Cela, nous l'avions obtenu et ça nous emplissait de bonheur. Vivre ensuite quelques heures seulement ou une cinquantaine d'années nous était indifférent."

Sarajevo. Je n'y suis allée qu'une longue journée. Deux nuits. Tout juste après la guerre. Les 36 heures les plus fascinantes de mes 20 ans. Sarajevo. Après les bombes. Encore éventrée.

Dans l'autobus que j'avais pris de Belgrade, j'ai sympathisé avec un jeune serbe qui allait rejoindre sa grand-mère. Il avait passé la guerre avec elle, prisonnier de la ville où ses parents pensaient qu'il trouverait refuge.

Ils m'ont offert le gîte. Ils m'ont nourri. Sur son balcon bordé de bégonias rouges, regardant le paysage désolé des immeubles maculés d'étoiles noires laissées par le passage des obus, comme de grands squellettes restés pour hanter la ville, la grand-mère croate me parlait de la guerre, le petit-fils serbe traduisait.

Lorsque je lui ai demandé d'où elle venait. Elle me répondit "loin des dieux et des hommes". Son petit-fils précisa comme pour l'excuser qu'elle était de Vis, une île au large de la Croatie.

J'ai marché une journée dans les rues de Sarajevo avec mon hôte - qui la revoyait pour la première fois depuis la fin des hostilités. J'ai revécu le premier coup de feu, le premier homme abattu au coin d'une rue, le premier tank, les corps qui flottaient le matin dans la rivière devant chez lui, la bombe du marché central.

"Après la chute de l'obus sur ses amis et ses voisins qui faisaient la queue pour acheter du pain, il se baissera, il ramassera son archet et, emportant son violoncelle et son tambouret pliant, il empruntera l'étroit escalier et descendra dans la rue vide."

mardi 15 février 2011

mardi 8 février 2011

samedi 5 février 2011

Une Femme, Annie Ernaux (hors série)


"Il me semble maintenant que j'écris sur ma mère pour, à mon tour, la mettre au monde."

Stéphane m'a prêté deux livres. Et comme je ne lis que par recommendation, je me permets d'interrompre cette série pour celle d'un ami. Une femme d'Annie Ernaux. Il l'a choisi parce qu'il connaît les aléas de ma relation avec ma mère. Il m'avait déjà parlé de ce livre. Mais il me le remet aussi le soir où il apprend que je deviendrai mère. Un hasard. Recommender, prêter ou offrir un livre c'est aussi une façon de dialoguer.

Je le lis dans l'autobus qui me ramène à la maison. Annie Ernaux, je la connais surtout pour Passion simple. Son oeuvre couvre le champs des névroses féminines: la passion, le divorce, la mère, le père, l'avortement...

Il fait magnifiquement beau dehors, une des dernières journées d'été avec un air de fond légèrement frisquet qui annonce l'automne. Un peu comme moi. Je me sens magnifiquement bien avec un vague fond de tristesse. Un petit air froid qui me traverse le coeur.

Je poursuis ma lecture. De toutes les mères auxquelles je pense en ce moment, c'est la mère biologique de ma fille qui occupe surtout mon esprit en lisant. Parce qu'une mère sans sa fille reste une mère. C'est un événement dont on ne revient jamais. Les choses ne seront plus comme avant, ni pour elle, ni pour moi. Mais il lui faudra apprendre à vivre cette maternité sans enfant.

"Entre nous, la gentillesse, presque la timidité de ceux qui ne vivent plus ensemble."