mardi 9 mars 2010

Chronique dont vous êtes le héro: la vie selon P. (épisode 14)


P. pouvait enfin aspirer à un poste à l'étranger. Avec un peu de chance et de stratégie, il pourrait peut-être partir en Amérique du Sud avant d’avoir atteint la quarantaine.

Il découvrirait alors que les appartements de fonction sont un peu comme les vêtements dans les familles pauvres. Les pantalons achetés pour le grand frère ne font jamais vraiment bien.

S'il part en Afrique du Sud, un agent consulaire aura décidé de recouvrir le bois franc avec de la moquette – selon les standards canadiens - et ne parviendra à convaincre l'administration de l'enlever dans une pièce qu'en déposant un grief et en prouvant une aggravation de son asthme.

S'il part en Italie, son comptoir sera en faux marbre gris, les armoires arboreront fièrement une touche de jaune moutarde, les planchers seront de céramique usée chocolat et les murs couverts en entier de céramiques fleuries (il ignorait jusque là que ça existait) vert kaki. Malheureusement, dans ce cas, il serait plus ardu de convaincre les gestionnaires que la laideur représentait une menace réelle à la santé mentale.

Partout, il aura le même mobilier colonial. Il sera chanceux s'il évite le supplice des divans dépareillés (rayé vert côtoyant fleuri bleu, ou jute orangée jumelée à satin rose- un concours informel de l’horreur est en cours dans les rangs du service extérieur). En effet, le drame des divans ennemis est une guerre de style que perdent plusieurs collègues et qui leur rappelle chaque soir que c'est un fonctionnaire qui gère leur vie.

Il serait difficile pour le narrateur de prétendre mesurer l'impact qu'eût sur P. la décision de tenter sa chance aux affaires étrangères.

C'est pourquoi au prochain épisode, il choisit de céder la parole à Félix Leclerc, qui saura peut-être mieux exprimer la misère banale qui l'attendait.

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